18/11/2025 investigaction.net  6min #296606

Avec la gauche israélienne actuelle, qui a encore besoin de la droite ?

Gidéon Lévy

Les dirigeants de l'alliance israélienne centriste Bleu et Blanc, Benny Gantz (à gauche) et Yair Lapid (AFP)

Le centre et la gauche en Israël ont échoué à proposer une stratégie libérale lucide capable de contrer l'agenda kahaniste de l'extrême droite, laissant au public israélien pour seul choix politique... la droite.

C'est un phénomène presque inconnu ailleurs dans le monde. En Israël, la gauche a un esprit conservateur - calcifié, hésitant, trompeur et lâche. Et la droite est le mouvement révolutionnaire, sans retenue, un mouvement qui dit exactement ce qu'il pense.

Habituellement, la radicalisation de la droite entraîne une radicalisation de la gauche. Mais en Israël, c'est l'inverse qui s'est produit. À mesure que la droite devenait plus extrême, la gauche se déplaçait vers le centre. Elle enveloppait ses positions de brouillard, courait après la droite, tentait de l'imiter et finissait par obtenir le pire des mondes.


À gauche : « Le peuple d'Israël vit en bleu et blanc » avec Gantz et Lapid : à droite le slogan « Kahane vit », avec Ben-Gvir, Bibi, Smotrich et Michael Ben Ari. Affiches de la campagne électorale de 2019

Quand Donald Trump est devenu président des USA, la réaction de la gauche n'a pas tardé. Le bloc libéral s'est radicalisé et est devenu plus progressiste. Mais lorsque le kahanisme est arrivé au pouvoir en Israël, non seulement la gauche ne s'est pas radicalisée, mais elle a cherché à se rapprocher des positions du gouvernement.

Lorsque le gouvernement Netanyahou a présenté un projet de loi rejetant l'établissement d'un État palestinien, l'autre bloc l'a en grande partie soutenu. Lorsque  la Knesset a voté sur l'instauration de la peine de mort pour les terroristes - l'un des projets de loi les plus racistes et fascistes jamais soumis ici - le bloc opposé a manqué le vote. La réponse à l'esprit kahaniste a été pitoyable.

Le  kahanisme - qui, comme l'a justement écrit Ravit Hecht vendredi dans l'édition hébraïque de Haaretz, est devenu le plus grand mouvement populaire en Israël depuis le 7 octobre 2023 - joue face à un but vide. Au lieu que la gauche réponde en aiguisant ses positions, elle y a répondu en les rendant plus vagues. La gauche conservatrice s'est figée.

Il n'existe plus de positions d'extrême droite considérées comme illégitimes. Et il n'existe plus de positions de gauche considérées comme légitimes. Chaque murmure à demi-gauche est une trahison. Écoutez simplement les chaînes de télévision : vous n'y entendrez aucune voix subversive.

Cette situation a été créée conjointement par la gauche et les médias. Proposez n'importe quel crime de guerre - du nettoyage ethnique à l'anéantissement - et il sera jugé légitime. Proposez quelque chose de moral, démocratique, humain ou conforme au droit international, et l'on vous fera taire. La gauche et le centre, qui auraient dû se radicaliser comme ce fut le cas en USAmérique, bredouillent de peur.

La droite est en faveur du génocide et du transfert de population. Mais que propose la gauche ?

Les atrocités commises par le Hamas dans le sud d'Israël et la guerre dans la bande de Gaza ont offert un vent arrière à tous les caprices fascistes les plus délirants : coloniser Gaza, expulser les Palestiniens vers le Soudan, les exécuter, les torturer, les battre, ravager et détruire. On pouvait s'attendre à ce que la gauche propose des contre-propositions tout aussi radicales. Mais pas en Israël. Le silence a régné face à tout ce que la droite a fait.


Shikma Bressler, physicienne israélienne et l'une des dirigeantes de la protestation contre la réforme judiciaire du gouvernement lors d'une manifestation réclamant l'établissement d'une commission d'enquête nationale sur les événements du 7 octobre (AFP)

Depuis deux ans, il est impossible de savoir si le bloc non-droitier était pour ou contre la guerre, s'il reconnaissait qu'un génocide avait été commis à Gaza ou pensait qu'il s'agissait de légitime défense, s'il avait une solution au problème de Gaza et, si oui, laquelle. Est-il en faveur de discuter avec le Hamas ? D'introduire une force multinationale à Gaza ? De libérer Marwan Barghouti ? D'offrir des conditions humaines aux prisonniers palestiniens et aux otages ? De rester à Gaza ? De se retirer de Gaza ? De maintenir des troupes dans une zone périmétrique à l'intérieur de Gaza ?

Il n'a absolument rien dit. Un grand silence planait sur les profondeurs. Son message se résumait à : « Netanyahou, rentre chez toi », et rien de plus.

Avec une gauche pareille, on n'a pas besoin de droite. Et il n'est d'ailleurs même pas important que la gauche gagne. Avec une gauche de ce type, ses chances de gagner sont de toute façon minces, car qui en a besoin ?

Au moment où le kahanisme a pris le contrôle du débat public, il est devenu nécessaire d'offrir une conversation alternative, centrée sur des propositions aussi radicales que celles de la droite. La gauche aurait dû cultiver son propre kahanisme idéologique - des idées claires, tranchantes, mais sans les crimes liés à l'original.

« Le peuple veut une commission d'enquête d'État » : des manifestants à Tel-Aviv protestent contre le gouvernement et réclament une commission d'enquête sur le 7 octobre (Capture d'écran )

Une guerre comme celle qui vient de se terminer aurait dû produire une conversation portant sur les grandes questions plutôt que sur des trivialités. Elle aurait dû produire un bloc qui dirait : « Nous avons essayé la voie de la droite, et elle nous a menés au bord de l'abîme. Voici l'alternative : quittons immédiatement Gaza. Aidons à la reconstruire. Arrêtons les pogroms en Cisjordanie, donnons à ses habitants la liberté de mouvement et la possibilité de travailler en Israël. Ouvrons également Gaza. Nous proposons un plan pour mettre fin à l'occupation et nous parlerons avec quiconque est disposé à parler, à commencer par Barghouti. Nous proposons une voie différente de celle du kahanisme, et nous nous battrons pour elle».

Mais rendre à nouveau légitimes des positions morales et proposer une véritable alternative n'arrivera apparemment que lorsque le Messie surviendra.

Et il sera sans doute de droite, lui aussi.

Source :  Fausto  Giudice

Article original :  Haaretz

Traduction :  Tlaxcala

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